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LES COUVERTS DES SŒURS NOIRES DE PAMELE
L'intérêt que je porte depuis plusieurs années aux couverts de table
m'a conduit à faire une découverte assez surprenante.
Ayant trouvé chez un brocanteur de ma ville natale quelques fourchettes
et cuillers dépareillées portant des noms de religieuses, je poussais la
curiosité plus loin et décida de faire une étude plus approfondie du
sujet.
Les couverts portaient tous les poinçons de la ville d'Audenaerde et
pouvaient être datés du 18 e Siècle. Les orfèvres qui les avaient
façonnés pouvaient être facilement identifiés.
En plus sur chaque couvert étaient gravé un prénom et un nom précédés
des lettres Sr le tout suivi d'une date. Il ne pouvait s'agir que de
religieuses. Plus tard, je découvris que l'année gravée sur le couvert
correspondait à l'année de la profession de ces religieuses.
Mes recherches me guidèrent vers des couvents proche de la ville
d'Audenarde.
Un vieil ouvrage (1) m'apportait la clé de l'énigme.
(1) " Audenaerde et ses monuments " 1913 et écrit par l'Abbé Paul van de
Vyvere.
Ces couverts sont un témoignage du passé et peuvent être considérés
comme un document d'une valeur historique. Il font partie de l'histoire
de la ville d'Audenarde.
Notes historiques
Jadis la ville d'Audenaerde possédait deux couvents de Sœurs Noires :
l'un à Audenaerde, l'autre à Pamele derrière l'église N.-D.
La fondation du premier couvent, situé rue des Vignobles
(Wijngaertstraete), remonte à 1295.
Ces sœurs soignaient les malades à domicile. Leurs services furent
surtout appréciés pendant lez moyen age, époque où la peste sévissait
dans toutes nos communes entourant la ville d'Audenaerde.
Les religieuses eurent à subir par deux fois les fureurs des
iconoclastes, en 1566 et en 1572.
Par suite des travaux à exécuter aux fortifications sous la direction de
Vauban, on eut besoin de d'une grande partie des terres et des bâtiments
de ce couvent.
A la requête des sœurs, les magistrats leur donnèrent en 1670 à titre de
d'indemnité le local de la corporation de St Michel et l'hospice St
Jacques avec la chapelle y attenante, le tout situé rue d'Eyne. On y fit
de notables changements ; de plus en 1672 on acquit une propriété
aboutissant à la rue des Chats (Kattestraete) et nommée " audit Clooster
ofte Tempeliershuys . "
La consécration de la nouvelle chapelle, sous le vocable de leur patron
St Augustin, se fit le 28 août 1673.
La Révolution Française supprima le couvent le 19 décembre 1796.
L'origine du couvent des Sœurs Noires de Pamele, doit vraisemblablement
remonter à la même époque que l'érection du couvent des Sœurs Noires
d'Audenaerde, et sa construction dater de celle de l'église de Pamele.
Les religieuses avaient aussi St Augustin comme patron ; elles
s'adonnaient également au soin des malades.
Ici comme partout ailleurs les protestants exercèrent leurs ravages,
mais le désastre fût complet lors du bombardement d'Audenaerde par le
général français d'Humières en 1684. Les boulets anéantirent presque
entièrement la chapelle et les bâtiments primitifs. Les objets précieux
furent ensevelis sous les décombres, et les statuts de l'ordre devinrent
la proie des flammes.
Le Couvent des soeurs noires de Pamele était un tas de pierre....
Le couvent fût de nouveau reconstruit par parties et de longs
intervalles, comme le prouvent les inscriptions que nous relevons sur
les voûtes du préau d'entrée ( Anno 1638), devant la chapelle (Anno
1684) et au réfectoire ( Anno 1715).
Lors de la révolution française le couvent fût supprimé, mais aussitôt
la paix rétablie, les sœurs rentrèrent dans leur ancienne demeure et y
accueillirent les religieuses du couvent d'Audenaerde, pour reprendre
ensemble leurs œuvres de charité.
La chapelle du couvent des Soeurs Noires conserve encore un bon nombre
de pierres tombales, toutes en bon état de conservation.
Au milieu du pavement devant le chœur nous relevons une pierre tumulaire
ornée de rinceaux et portant une armoirie surmontée de la crosse et la
mitre. C'est celle d'André Chevrier, abbé de Corbie ; qui et 1667
chercha un refuge à Audenaerde, il devint le père spirituel de la
communauté. A cette époque le directeur habitait le couvent même, mais
dans un bâtiment séparé.
Un grand nombre d'épitaphes en bon état peuvent être relevés
On peut y trouvé entre autres celles des religieuses dont nous avons
retrouvé les couverts de tables au poinçon d'Audenaerde
· Sr Coletta Voet, profession en 1782 et décédée le 13
avril 1826 à l'age de 69 ans
· Sr Catharina van Wanzeele, profession en 1788 et décédée
en 1836 à l'age de 73 ans. Couvert marqué Sr CvW.
· Sr Rosa Blommaert, profession en 1780 et décédée en 1837
à l'age de 87 ans.
· Sr Barbara Herman, profession en 1767 et décédée en 1828
à l'age de 88 ans. Couverts marqués Sr B H 1767.
· Sr Bernadette Ghys, profession en 1776 et décédée en
1816 à l'age de 66 ans
· Sr Francisca (van) Heuvick, profession en 1790 et
décédée ne 1842 à l'age de 78 ans
Description des Couverts
1/ Poinçon de ville : A Couronné pour Audenaerde Lunettes pour
Audenaerde
Poinçon de date : 84 couronné pour 1784
Poinçon de maître : Monogramme des lettres AvM pour Anthone VAN DER
MEERSCH 1736-1814
Inscription particulière : Sr Coletta Voet 1782
Dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires se trouve l'épitaphe
suivante :
+
Memoire
Van Sr Coletta
Voet religieuse geprofest den 12 9bre
1782 overl , den 13
April 1826
oudt 69 jaeren
R.I.P.
|
2/ Poinçon de ville : A Couronné pour Audenaerde Lunettes pour
Audenaerde
Poinçon de date : 80 couronné pour 1780
Poinçon de maître : Monogramme des lettres AvM pour Anthone VAN DER
MEERSCH 1736-1814
Inscription particulière : Sr Rosa Blommaert 1780
Dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires se trouve l'épitaphe
suivante :
+
Memoire
Van Sr Rosa
Blommaert religieuse
geprofest den 3 febru
1780 overl den 13
8b
1837 9 j.jubilarice
oudt 87 jearen
|
3 / Poinçon de ville :
Poinçon de date :
Poinçon de maître : illisible
Inscription particulière : Sr Francisca Van Heuvick 1790
Dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires se trouve l'épitaphe
suivante :
+
Memoire
Van Sr Francisca
Heuvick gheprofeste
religieuse de 17 Mey
1790 overleden den
14 Maert 1842 Jube oudt
78 jaer
R.I.P.
|
4/ Poinçon de ville : A Couronné pour Audenaerde Lunettes pour
Audenaerde
Poinçon de date : 67 couronné pour 1767
Poinçon de maître : Monogramme des lettres AvM pour Anthone VAN DER
MEERSCH 1736-1814
Inscription particulière : Sr Bernarde Ghys 177 (vraisemblablement 1776)
Dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires se trouve l'épitaphe
suivante :
+
Memoire
van Sr Bernaerde
Ghys religieuse
geprofest den 21 Meye
1776 overl, den 20
Meye 1816
oudt 66 jaeren
R.I.P.
|
5/ Poinçon de ville : A Couronné pour Audenaerde Lunettes pour
Audenaerde
Poinçon de date : 79 couronné pour 1779
Poinçon de maître : Petit monogramme des lettres AvM
pour Anthone VAN DER MEERSCH (1736-1814)
Inscription particulière : Sr B H 1767
Dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires se trouve l'épitaphe
suivante :
+
Memoire
van Sr Barbara
Herman religieuse
geprofest den 3 Juny
1767 overl, den 6 9b
1828 12 j. jubilarice
oudt 88 jaeren
R.I.P.
Par déduction le couvert devrait avoir appartenu à Sr Barbara Herman
initiales B H qui avait fait sa profession en 1767 date indiquée sur
le couvert
|
6/ Poinçon de ville :
Poinçon de date :
Poinçon de maître : Maître au chien assis non identifié
Inscription particulière : Sr Séraphine Merckx 1793
Pas d'épitaphe a été trouvé dans la chapelle du couvent des Sœurs Noires
à Audenaerde
Vraisemblablement ces couverts appartenaient à une religieuse de la
même communauté.
Son nom n'a pas été trouvé dans les archives du couvent des Sœurs Noires
Le couvert est en très bon état, comme s'il n'avait jamais été utilisé.
Le maître orfèvre est différent de celui qui façonna les autres couverts
décrits plus haut. Ce qui me fait supposé que Séraphine Merckx aurait,
soit abandonné le couvent prématurément en y laissant son couvert soit
qu'elle était d'un autre ordre et aurait trouvé refuge pendant cette
période trouble de la Révolution dans la communauté d'Audenaerde
Les poinçons
Poincon
de la ville d'Audenarde
|
Poinçon
de l'Orfèvre: AVM : Anthone van der Meersch
|
Poinçon
de l'Orfèvre : Maître au chien assis (non identifié)
|
Poinçon
date chiffre sous couronne
|
Comparaison des dos des cuillerons
Numerus clausus - Levée Etroite
Nous retrouvons la liste des Sœurs Noires dans les registres de la
population datant de 1795. Il y avait quatorze noms sur cette liste. Sur
une toile, peinte en 1698, et se trouvant dans le réfectoire du couvent
des Sœurs Noires situé derrière l'église de Pamele, figurent quinze
religieuses. Ces données laissent supposer qu'un numerus clausus avait
été instauré au cours des années et que leur nombre était fixé à quinze.
Sur une liste des habitantes du couvent situé au Smalendam et sur des
pièces officielles datant de l'Occupation Française on peut trouver des
explications sur cette « Levée Etroite »
1. Isabelle De Moor, zuster Augustinus, 57 j.
2. Petronella Dhoosche, zuster Monica, 75 j.
3. Isabelle Hespel, zuster Albertine, 81 j.
4. Jeanne Van de Lanotte, zuster Marie-Thérèse: 71 j.
5. Marie Boi, zuster Constance, 50 j.
6. Caroline Herman, zuster Barbara, 55 j.
7. Mare Van de Woestijne, zuster Jacoba, 50 j.
8. Jeanne Ghys, Zuster Bernarde, 40 j.
9. Elisabeth Blommaert, zuster Rosalia, 43 j.
10. Marie-Thérèse Voet, zuster Coleta, 38 j.
11. Isabelle Van Wansele, zuster Catharina, 34 j.
12. Philippine Buyse, zuster Antonia, 33 j.
13. Christine Uvick, zuster Francisca, 34 j.
14. Desideria Grude, zuster Angela, 28 j
Jeanne Commerce,41 j., dienstmeid
Thérèse De Vos, 73 j., dienstmeid
Marie Gabriels, 45 j. dienstmeid.
Après l'abolition de leur couvent pendant l'Occupation Française, les
Soeurs Noires ont du attendre des temps meilleurs avant de pouvoir
retrouver leur maison. Lorsque le moment était venu, les Soeurs Noires
du couvent situé dans la ville d'Audenarde, qui elles aussi avaient
connu des temps difficiles les rejoignait. Ensemble elles reprirent la
tradition de leur ordre et continuèrent à soigner les malades comme
elles le faisaient depuis des siècles. De nos jours elles continuent à
le faire dans les cliniques du Sacré-cœur et de la Ste Famille.
Nous retrouvons dans les registres de la population d'Audenaerde datant
de 1795, parmi les 14 noms des religieuses répertoriées, 6 noms de
celles dont nous avons retrouvé les couverts. Nous avons également pu
retrouver les noms de jeune fille de ces religieuses.
Aujourd'hui les Zwarte Zusters de Pamele se sont éteintes. Les dernières
religieuses Zuster Maria, Zuster Godelieve et Zuster Suzanne ont rejoint
il y a une dizaine d'année toutes celles qui ont fait l'histoire de ce
charmant petit couvent provincial.
En réflexion .......
Je me suis promené à Pamele, derrière l'église et y ai trouvé un
charmant petit couvent très discret caché par pudeur derrière le
clocher. Du couvent existe encore les bâtiments historiques à l'allure
paisible du béguinage flamand, une partie est occupée par une école
primaire et une autre par quelques religieuses qui y coulent une douce
retraite.
Espérons que le clocher et le manteau protecteur de ND de Pamele
protègeront encore longtemps ce témoignage monastique établi en cet
endroit depuis le XIII siècle.
Je me suis souvenu des vers populaires flamands que l'on pouvait trouver
jadis inscrits sur les murs des béguinages de Flandres
Daar alleen kan liefde wonen
Daar alleen is 't leven zoet
Waar men vrij en ongedwongen
Alles voor elkander doet.
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Là seul peut demeurer l'amour
Là seul la vie est douce
Où libre et sans contrainte
On fait tout pour autrui
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Et de ceux écrits par Georges Rodenbach:
J'aime les petites rues
Aux archaïques atours,
Pleines d'herbes incongrues
Et de puérils détours.
Je les aime déridées,
S'en allant d'un pas cassé,
Qui leur viennent du passé !
Je n'ai pas pu me recueillir dans la petite chapelle et retrouver les
épitaphes des religieuses dont j'ai retrouvé les couverts. Ce sera
peut-être lors d'un prochain passage.
Croyez moi, si un jour, vous rencontrez des couverts armoriés,
monogrammés où peut être gravés aux noms de religieuses, essayer de
percer leur mystère, cela en vaut la peine.
Passant, les choses anciennes ont une âme, et toutes ont une histoire !
Et si vous prenez la peine d'y attacher une petite importance, leurs
souvenirs revivront et c'est ainsi que vous contribuerez à faire
l'histoire.
Raoul C VERBIST
Pâques, 11 avril 2004
Le couvent de Sœurs Noires de Pamele L'église Notre Dame de
Pamele
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