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LE POINÇON DE GRÂCE de 1750
Illustré par l'étude
d'un Huilier de Mons
au poinçon du Maître Orfèvre non identifié :
« Cœur ardent transpercé d'une flèche »
marqué du Poinçon de Grâce de 1750
LE POINÇON DE GRÂCE DE 1750
Depuis la mise en application de l'Edit des Archiducs Albert et
Isabelle du 20 octobre 1608 par lequel l'aloi des pièces d'orfèvrerie
était fixé à 22 carats pour l'or et 11 deniers et 8 grains pour l'argent
(1) et par lequel il était permis aux orfèvres de vendre leurs pieces 32
florins par once d'or et 52 ½ sous par once d'argent, (2) il y eut de
nombreux abus aussi bien du côté de l'administration que du côté des
orfèvres.
L'augmentation du prix des métaux précieux à la fin du 17eme et au début
du 18eme siècle provoqua une situation intenable chez les orfèvres.
Ceux-ci voyaient leur marge bénéficiaire diminuer drastiquement.
Plusieurs d'entre devaient faire face à des réelles difficultés qui
devenaient insoutenables. Aucune adaptation légale du prix de vente ne
leur était autorisée. Afin de garantir leur marge bénéficiaire certains
orfèvres n'avaient pas d'autre choix que de trafiquer le titre des
pièces qu'ils produisaient. Ce qui créa un réel problème auprès des
corporations d'orfèvres et auprès des autorités.
Vers la fin de 1707 en raison du renchérissement des matières premières
la Jointe des Monnaies octroya par acte, une autorisation provisoire par
laquelle elle permit aux orfèvres de diminuer l'aloi jusqu'à 20 carats
10 grains pour l'or et 10 deniers 20 grains pour l'argent et une
autorisation provisoire par laquelle elle autorisait les orfèvres à
vendre les pièces en or à 20 florins l'once et celles en argent à 55
sous l'once. (3)
Cette autorisation fût communiquée par lettre à certaines villes comme
Bruxelles, Anvers, Louvain, Malines, Gand et Bruges. (4)
D'autres villes comme Ypres et Tournai étaient sous domination
françaises, tandis que Mons, Namur et Luxembourg appartenaient encore à
la couronne d'Espagne. Plus tard quand ces villes seront rattachées aux
Pays-Bas autrichiens elles ne pourront pas jouir immédiatement de cette
autorisation étant donné qu'elles ne reçurent jamais l'ordonnance
d'exception. Néanmoins la ville de Ath, pour des raisons inconnues, fût
oubliée et ne reçu jamais copie de l'ordonnance. Il y eut différentes
lettres de protestation émanant des orfèvres afin de mettre fin à cette
discrimination qui causa une concurrence déloyale.
Cette ordonnance ne satisfaisait pas l'ensemble des orfèvres et fût
retirée le 29 mai 1717. Malgré ce retrait les orfèvres continuèrent à
usiner des pièces aux alois plus réduits. (5)
Néanmoins le prix des métaux précieux continua à augmenter. Ils étaient
plus élevés dans les Pays-Bas que dans les autres pays. Ce qui provoqua
une fuite de capitaux. L'or et l'argent devenaient de plus en plus rare.
Les autorités autrichiennes ne montrèrent aucune fermeté devant une
situation qui devenait incontrôlable. La situation des orfèvres devint
également catastrophique. Il était grand temps pour que des mesures
fermes soient prises par les autorités. Alors vint les ordonnances du 19
septembre 1749.
L'ordonnance du 19 septembre 1749
Le 19 septembre 1749 Marie-Thérèse promulgua 2 ordonnances, Une pour
les monnaies et une autre pour les ouvrages d'orfèvrerie. (6)
Par son ordonnance du 19 septembre 1749, Marie-Thérèse voulut mettre un
terme aux abus commis par les orfèvres en ce qui concerne l'aloi de
leurs ouvrages. Elle obligea ceux-ci à revenir à l'ancien titre (celui
du 20 octobre 1608). Les ouvrages terminés ou ceux en cours d'achèvement
et qui étaient en dessous de ce titre, pouvaient cependant être vendus à
un prix réduit, selon leur aloi réel. (7)
L'ordonnance de 1749
A. Principale
Dorénavant l'aloi pour les pieces d'or et d'argent sera fixé sur celui
promulgué par l'édit des Archiducs Albert et Isabelle du 20 octobre 1608
c'est à dire 22 carats pour l'or et 11 deniers et 8 grains pour l'argent
et le prix auquel il était permis aux orfèvres de vendre leurs pièces
sera de 42 florins et 7 sols par once d'or et 59 ½ sous par once
d'argent.
B. Afin d'éviter que les orfèvres n'encourent de trop fortes pertes, des
mesures transitoires furent promulguées pour les pièces non-conformes à
l'aloi fixé par l'ordonnance de 1707 et pour celles destinées à être
détruites.
1. Tolérance
Aucune difficulté sera faite pour les pièces ayant atteint l'aloi fixé
par l'ordonnance de 1707 c'est-à-dire : un aloi de 20 carats 10 grains
pour l'or et 10 deniers 20 grains pour l'argent.
Pour ces pièces un prix tenant compte de l'aloi plus faible sera imposé
(Notamment 39 florins 12 sols par once d'or et 56 sols par once
d'argent. Certains orfèvres présentèrent des pièces ayant un aloi moins
élevé que celui fixé par l'ordonnance de 1707. Dans ce cas ci l'aloi
devra être déterminé par les jurés et après analyse un chiffre sera
inculqué sur la pièce « uytgewysende by cyfers het getal van de
greynen » indiquant le nombre de grains contenus dans la pièce
d'orfèvrerie. (art. LII) Par exemple : le chiffre 10 montrera une pièce
ayant un aloi de 10 deniers et 10 grains d'argent le chiffre 12 montrera
une pièce ayant un aloi de 10 deniers et 12 grains d'argent (cas pour
notre exemple le huilier de Mons) c'est à- dire 8 grains en dessous de
l'aloi autorisé le prix de la pièce d'argenterie devant être diminué de
1 et ¾ sols par grain de la valeur autorisée. (Art LII)
Les pièces en or ayant un aloi en dessous de 20 carats et 10 grains, et
celles En argent ayant un aloi de 10 deniers ou moins ne seront pas
acceptées et devront être détruites. (Art. LIII et LVI)
2 Signe distinctif
Les pièces devront être marquées d'un signe distinctif (8) : on appela
ce signe distinctif le poinçon de Grâce
« Daeraen het poinçoen aengeset sal worden met het distinctief teecken
het welck hun van onsen t'wegen gesonden sal worden, ende het welck
overal hetzelfve sal zyn » (art.LVII)
3 Période
La période durant laquelle l'inculpation du poinçon de Grâce devra avoir
lieue était fixée à un mois après la publication de l'ordonnance.
(art.LVII)
Pour les petites villes et celles éloignées n'ayant pas de jurés, il est
demandé aux orfèvres de présenter leurs ouvrages auprès des jurés de la
ville la plus proche possédant une coopération d'orfèvres. (article
XXVI) Un ordre émanant du marquis Botta Adorno daté du 12 juillet 1750
confirme cet article et ajoute que les orfèvres ayant boutique dans des
endroits éloignés pourront jouir de mesures transitoires.
1. Envoi du poinçon de Grâce
Il fallut un certain temps avant que le poinçon de Grâce fût prêt et
envoyé aux différentes villes ; Voici un aperçu des dates de livraison
du poinçon dans différentes villes :
Tournai le 7 janvier 1750
Mons le 21 mai 1750
Namur le 22 mai 1750
Ath le 22 mai 1750
Malines le 19 juin 1750
Courtrai le 23 juin 1750
Bruges le 28 juin 1750
Gand le 30 juin 1750
Menin le 14 juillet 1750
Ypres le 22 juillet 1750
Audenarde le 13 août 1750
Anvers le 25 juin 1750
2. Usage du poinçon de Grâce
Différentes coopératives d'orfèvres protestèrent. Ce fût le cas de
celle de Tournai qui trouvait le poinçon de Grâce trop grand, ce qui ne
leur permettait pas le poinçonnage de petites pièces tel des bagues.
Celle de Gand qui dans une lettre adressée à la Jointe des Monnaies
déclarait qu'il n'était pas possible de poinçonner toutes les pièces
pendant une courte période d'un mois étant donné le trop grand nombre de
pièces d'orfèvres à poinçonner. Gand devait également poinçonner les
pièces venant des orfèvres de Termonde, Saint Nicolas, Lokeren Tamise et
Rupelmonde. Le poinçon est également considéré comme trop grand. (in den
tijdt van een maendt binnen de de selve stadt Ghendt tot dies te doen de
devoiren gheprescibeert by het 57. Art. van de selve placcaert…)
Le 9 septembre 1750 les orfèvres de la ville de Gand réclamèrent un
nouveau poinçon ayant cassé le leur. Et c'est le 15 septembre 1750 que
la ville de Gand reçu deux nouveaux poinçons de Grâce
3. Destruction des poinçons de Grâce
La destruction des poinçons de Grâce en circulation en 1750 fût
décidée par un procès verbal la cour de Cassation.
L'on procéda à la destruction des poinçons de Grâce
à Anvers le 22 septembre 1750
à Malines le 10 septembre 1750
à Lierre le 4 août 1750
à Brugge le 9 septembre 1750
à Audenaarde le 27 août 1750
à Ypres le 27 août 1750
à Gand le 3 octobre 1750 y compris les deux poinçons supplémentaires
envoyés le 15 septembre 1750.
Etude des poinçons sur un huilier de Mons
(1) (2) (3) (4) (5) (6)
(1) Le Poinçon de date : lettre Gothique E
correspondant à l'année 1745
(2) Le Poinçon de ville : lettres AE pour la ville
de Mons
(3) Le Poinçon du Maître orfèvre : Cœur ardent
transpercé d'une flèche, non déterminé.
(4) Le Poinçon de ville : Tour à trois créneaux
pour la ville de Mons. Ce poinçon connut des formes différentes au cours
de l'histoire (9)
(5) Le Poinçon de Grâce Croix bourguignonne
couronnée.
(6) Le Chiffre 12 correspondant à un aloi de 10
deniers et 12 grains (8 grains en moins que l'aloi déterminé par l'édit
du 20 octobre 1608 des Archiducs Albert et Isabelle.)
(1) Edict en Ordonnantie van de Eerszthertoghen op 't stuk ende
Exercitie van d'Ambacht van Goudt- ende Silversmeden… ghegheven te
Bruessule den XX. van october MDCVIII., Edit du 20 octobre 1607
(2)Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, Règne d'Albert et Isabelle 20
octobre 1608.
(3) Bruxelles Archives Nationales - Jointe des Monnaies, 89 : dans un
rapport de Clauwer-Briant du 4 augustus 1704 nous pouvons lire : « Vers
la fin de l'an 1707, feu le Conseiller et maître général Wautier, ayant
convoqué les doyens des métiers des orfèvres, leur octroyant un acte par
lequel à raison du renchérissement des matières il diminua
considérablement l'aloi tant d'or que d'argent, et leur fit livrer des
éguillles conformes aux diminutions. »
(4) Archives de la ville de Gand - Acte du 5 januari 1708
(5) Bruxelles Archives Nationales Conseil Privé, régime autrichien, le
18 mai 1717, oui l'office fiscal, il fut ordonné au dit Conseiller et
général Wautier de casser et annuler le dit acte endéans deux fois
vingt-quatre heures. Cette cassation et annulation se firent par lettre
du 29 du dit mois, signée A. Wautier.
(6) Ordonnance de Marie-Thérèse concernant le métier des orfèvres et la
vente des ouvrages d'or et d'argent, du 19 septembre 1749, dans le
recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, 1700-1794, vol 6,
Bruxelles 1887, p 484-491.
(7) Ordonnance de Marie-Thérèse sur la fabrication et le cours des
monnaies, du 19 septembre 1749, dans le recueil des ordonnances des
Pays-Bas autrichiens, 1700-1749, vol 6, Bruxelles, 1887, pp. 472-483.
(8) Le signe distinctif prévu par l'article LVII de l'ordonnance du 19
septembre 1749 est repris dans plusieurs pièces d'archive sous la
dénomination de Poinçon de Grâce le nom Poinçon de Connivence est
également utilisé.
Dans les archives de la ville de Gand on peut retrouver une lettre de la
Jointe des Monnaies adressée aux coopératives d'orfèvres le 26 août 1750
le texte suivant : « ….le poinçon de Grâce, qui vous a été remis ensuite
du 57. Article du placard pour les orfèvres du 19 septembre 1749… »
(9) L'orfèvrerie religieuse en Belgique L & f Crooy, Vromant & C°,
Editeurs Paris 1911 p .88 à 91. « Les poinçons de la ville de Mons sont
très faciles à reconnaître. Ce qui prête à plus de difficultés, c'est de
les classer par époques, tellement les modifications en furent légères
durant les périodes relativement longues. »
Figure 1. Marque primitive XV e siècle. Petite
tour à profil rectangulaire et crénelée. « Un castel en ung escut »
Figures 2 à 6. Poinçons du XVI e siècle et premières
années du XVII e siècle. On peut à peine relever une différence entre
les différents modèles de poinçons. Les proportions seules varient de
quelques fractions de millimètres.
Figure 7. Vers 1625 apparaît la première
modification sérieuse de la tour de Mons. Celle-ci est beaucoup plus
petite et moins nette que précédemment.
Figure 8. Le poinçon est très particulier à cause
de la petite porte visible au beau milieu de la tour. Ce poinçon était
employé probablement vers 1634-1635.
Figure 9. Durant la seconde moitié du XVII e
siècle, les créneaux disparaissent. La tour, réduite à une sorte de
rectangle aux bases plus ou moins arquées, est surmontée d'une couronne
à deux rangées de perles sans autre ornement. Les perles de la rangée
supérieure sont souvent allongées.
Figures 10 à 15 Avec quelques légères variations de
grandeur, cette forme restera courante jusqu'à la fin du XVIII e siècle,
le rectangle perdant un peu d'importance au profit de la couronne
perlée.
Au XVI e siècle et durant les premières années du XVII e siècle, ce
poinçon était le seul qui représentât la ville de Mons. Vers 1610, on
introduit un nouveau poinçon qui accompagnera celui à la tour. C'est le
monogramme Æ surmonté d'une petite couronne ouverte à trois fleurons
(fig. 6). Au XVIII e siècle (seconde moitié), le monogramme porte aussi
une couronne de trois ou de cinq perles. Ce poinçon rappelle par ces
initiales les archiducs Albert et Isabelle (forme espagnole
d'Elisabeth), qui auraient octroyé ce signe caractéristique comme « un
signe d'estime particulière » aux orfèvres de Mons. Il fût, comme le
poinçon de la tour, plusieurs fois renouvelé et transformé au cours des
siècles.
Note sur les poids utilisés au XVIII e
Le grain est le plus petit poids dont on se sert pour peser l'or et
l'argent, ou certaines drogues de médecine. Le grain est selon la
commune opinion le poids d'un grain d'orge, gros, bien nourri ; les 24
grains font un dénier ; les 3 deniers un gros ; les 8 gros une once, &
les 16 onces une livre de Paris. En médecine les 20 grains valent un
scrupule, & les 60 grains un gros ou dragme. (*)
(*) L'Agronome - Dictionnaire portatif du cultivateur - Paris, chez la
Veuve Didot - 1763 p. 516.
Raoul Verbist
- 2004-
http://www.chambresamis.org/index.html
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