by Martine
D'Haeseleer ©
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L'Art de la Table: un Art de vivre
'Il était une fois ... un couvert d'argent'
Ce soir, en prenant d'un geste coutumier cet ustensile en main,
puis- je vous demander de poser un regard appréciateur et
admiratif sur ces prolongements de doigts et de mains que vous
tâchez de manier avec grâce et habileté depuis votre tendre
enfance.
Ces objets semblent anodins, car tellement fonctionnels; leur
forme adaptée à la main, leur recherche décorative ou leur
design épuré: fruits d'une recherche d'utilisation et d'un idéal
de perfection reflétant le raffinement des usages de la table
lié à l'adoucissement des mœurs,
Ces aspects passent inaperçus dans leur maniement quotidien et
le rite de leur disposition à table. Ils réfléchissent la
lumière, l'esthétique, la culture, l'éducation mais aussi le
statut social de leur propriétaire.
Malgré le tourbillon agité de nos vies personnelles, prenons le
temps de respirer, d'humer les parfums des mets et de savourer
l'histoire et la petite histoire du couvert qui illumine et pare
notre table.
Si je choisis de commencer cet article en reprenant les termes
d'un début de conte de fée cher à mon enfance, c'est que lors de
mes cours, en résumant l'histoire du couvert, il me vient à
chaque fois en mémoire le conte de la Belle au Bois Dormant où
la marraine fée offrit à chacun des convives un couvert en métal
précieux orné de pierreries .De nos jours c'est encore la
marraine qui offre chaque année un couvert au filleul afin de
réaliser sa ménagère.
D'où venait cet usage?
L'Histoire mais aussi la 'petite histoire' s'attachent à cet
élément de l'Art de la Table et permettent d'illustrer les us et
les coutumes qui détermineront l'évolution du couvert et de ses
éléments.
Tout d'abord qu'entend-on par le mot couvert ?
Sa composition, telle que nous la connaissons aujourd'hui
-cuiller et fourchette assemblés dans une même forme et décor-
fut introduite dans le dernier quart du XVIIe siècle. Le terme
vient du verbe 'couvrir'. Au Moyen Age, il était d'usage de'
couvrir' la table , donc de disposer sur elle tout ce qui était
nécessaire au repas (Verres, salières, assiettes etc...)
Progressivement, le terme se limitera à la désignation de la
cuiller et de la fourchette.
Etudions chaque élément. L'usage du couteau se
développe depuis le XIIe siècle. Réalisé par un
coutelier ( c'est un artisanat particulier qui existe
encore de nos jours) le couteau personnel se portait à
la ceinture dans une gaine en cuir et chacun apportait
son couteau à la table d'hôte, dans un souci d'hygiène
photo 2a photo 2b
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D'abord très effilé et pointu, il servait à piquer la
viande dans les plats et à la découper sur une assiette
en bois appelée à l'époque tailloir . (Elle ressemblait
à nos planches à pain actuelles) Ce qui est particulier
dans la sémantique c'est que ce terme 'tailloir' va
donner son nom aux' tellooren' ancien nom flamand donné
aux assiettes.
photo 4
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Au XVIIe siècle, la pointe du couteau s'arrondira afin que
les usagers cessent de se curer les dents à table ou ne
l'utilisent plus pour régler leurs différends au cours des repas
!
La fourchette dans son usage le plus précoce- vers la fin du
XIIIe siècle- était un instrument à deux dents qui servait à
piquer les viandes de l'hochepot, à les poser dans l'écuelle, et
non pas à les porter à la bouche.
Il semble que l'utilisation de la fourchette telle que nous la
connaissons actuellement viendrait de l'utilisation précieuse
qu'en faisaient les courtisanes à la Renaissance en Italie.
Celles-ci parées de fraises - vastes cols plissés- portaient
sucreries , pâtes de fruits ou poires à leur bouche afin de ne
pas souiller habits ou mains.
Cette fourchette, signe d'affectation, devint source de satire à
la cour d'Henri III.
A deux fourches au départ, elle se compose de trois, puis de
quatre pointes à la fin du XVIIe siècle.
Avant la Renaissance dans nos contrées occidentales,
il était de bon usage de manger avec ses doigts et au
cours du repas de se laver moultes fois les mains à
l'aide d'eau parfumée versée par les valets usant
d'aiguières en argent et de vastes bassins pour
recueillir l'eau souillée. C'était une coutume reflétant
le goût pour la propreté et l'hygiène de l'époque.
photos 1a, 1b, 1c
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De telle manière que Louis XIV interdit au précepteur de ses
enfants de leur apprendre à manger avec une fourchette, l'usage
de celle-ci ayant encore une connotation négative. (Manque
d'hygiène et utilisation par des personnes aux mœurs légères ou
affectées).
La cuiller sert depuis l'aube des temps à porter des aliments
liquides à la bouche.
Imaginons la difficulté d'utilisation de cet appendice par nos
aïeux lointains, heureusement sa forme s'est creusée et effilée,
l'usage en deviendra plus aisé et adroit.
Dans le cours du XVIIe siècle le convive invité à un
repas apportait avec lui les pièces de son couvert en
argent. Dès lors, on voit apparaître le couvert dit ' de
voyage' composé d'une fourchette pliante dont l e manche
et fourcheron sont articulés par une charnière, sur ce
fourcheron vient se fixer le cuilleron par un système
d'œillets, le tout serré dans un étui.
photo 5
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Chacun possédait un couvert plus ou moins ornementé selon son
rang, sa culture ou son état de fortune. Les jeunes époux se
feront offrir chacun un couvert.
Au fil du temps, s'établira la coutume où l'hôte fournira
lui-même le couvert à chaque convive et ensuite prévoira un
ensemble de couverts (une série de six , plus tard par douze)
Les couteaux sont toujours réalisés à part par un
coutelier, leur forme est souvent différente de celle du
couvert. Manche précieux réalisé en cristal de roche,
pierres dures semi précieuses, porcelaine , ou en argent
de forme crosse, leurs lames sont à l'origine fixées par
une soie, et le bout du manche se termine par un bouton
de fixation.
photo 8a et 8b
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Dans le courant du XVIIIe siècle les formes des
couverts seront soit sobres - uni- plat, baguette,
filet, violon- ou plus élaborées - coquille, rocaille-.
La cuiller, à la fin du XVIIe et début du XVIIIe, sera
renforcée par une queue de rat qui sert de jointure. Aux
couverts de table viendront s'ajouter le couverts à
dessert qui parfois seront vermeillés afin d'éviter que
l'argent ne s'altère au contact des fruits acides.
photo 9 photo 7
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Jusqu'à la moitié du XIXe siècle, les couverts sont
réalisés d'une façon artisanale, l'introduction de la
mécanisation permettra une réalisation accessible à un
plus grand public. Le couvert à poisson, tel que nous le
connaissons, apparaîtra dans la seconde moitié du XIXe
siècle et les différents éléments de la ménagère se
diversifieront.
photo 10 photo 11
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Soulignons quelques évolutions et recherches
esthétiques intéressantes au XXe siècle, car l'histoire
du couvert, heureusement , ne s'arrête pas avec
l'avènement de la mécanisation.
En réaction à l'uniformisation de cette ère, l'artiste
belge renommé de l'époque art nouveau Henri Van de
Velde, créera des couverts de grande sobriété et
fonctionnalisme dont l'originalité sera l'adaptation
ergonomique de chaque élément à son usage.
Assez surprenante, l'époque Art Déco dans un souci
d'adapter les formes à l'esprit géométrisant, suscitera
la créations de couverts dont la silhouette n'autorise
pas une utilisation aisée. Cuiller trop plate,
fourcheron inadapté à l'usage
photo 12
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Expressions de bouche et saveurs de langage
D'une façon inconsciente dans certaines expressions de la vie
courante nous utilisons des formules reflétant les us et
coutumes de cet' art de vivre' lié au couvert.
Ne dit-on pas des bien nantis qu'ils seraient nés 'avec une
cuiller d'argent en bouche'
Rappelons ici l'expression ' offrir le vivre et le couvert',
'Ne pas y aller avec le dos de la cuiller' dans une façon d'agir
un peu brusque.
Assez pittoresque, l'expression : “ au hasard de la fourchette'
On dit joliment à propos d'un élégant convive 'qu'il a un
délicat coup de fourchette' ou plus simplement qu'il est 'une
bonne fourchette'
Revenons aux usages actuels.
Parmi les actes conscients, au moment de célébrer leur jeune
union, c'est avec soin et passion que les jeunes couples
choisissent leurs couverts et service de table qui pareront les
tablées familiales et amicales des jours heureux.
Ces choix reflèteront la symbiose de leurs personnalités, le
partage de leurs passions artistiques.
Un conseil que je souhaite ajouter à cette démarche.
Rappelez-vous que l'achat d'une argenterie reste toujours un
investissement à long terme, il est donc préférable de
privilégier un métal précieux à une vile imitation.
Martine D'Haeseleer
Expert et enseignante en orfèvrerie ancienne et moderne belge
et européenne.
Fondatrice de la Silver Society of Belgium.
Créatrice du site : www.silverbel.org
Bibliographie:
'Couverts de l'art gothique à l'art nouveau' - Collection
Jacques Hollander.
'Alte Bestecke' - Collection Callway - par Gertrude Benker.
'Bestecke' -Die Eglofstein'sche Samlung “ 15 - 18 Jahrhunderd
auf der Wartburg'
Edition: Arnoldsche.
Musée du couvert : Musée Mandet à Riom - France
Description des photos : (Copyright Martine D'Haeseleer)
Sauf n° 9 (© Munozarce)
photo 1
Cuiller en argent d' époque Renaissance ( 16è siècle )
Origine Frankfürt -Allemagne.
Dimension L:14,5cm
Attache représentant d'un côté, un personnage engaîné entourré
de cuirs découpés au centre d'une architecture de la
renaissance.
Collection : Bernard.De.Leye.
photo 2a 2b
Petit couteau de mariage en argent , lame en acier.(2ème 1/2 du
17è siècle)
Origine: soit Pays -Bas, soit Anvers.(dimension:L 18,5 cm)
Décor sur le manche de scènes gravées sur fond noirci. Influencé
par les dessins de Jean-Théodore de Bary.( cf Zilver uit de
Gouden Eeuw van Antwerpen)
Collection: Bernard.De.Leye.
photo 4
Couvert de voyage pliant en fer incrusté d'or et d'argent
Karlsbad 17è siècle
Comprenant cuiller, fourchette et couteau dans une trousse de
cuir.
Collection : D.P.
photo 5
Couvert de voyage pliant, manches en ivoire teinté vert orné d'applications
en argent.
Origine: Italie fin 17è siècle.
Restauration: Le fourcheron en argent a été remplacé en Russie
en 1853
Collection : 'Magazin Royal'
Collection : D.P.
photo 7
Détail Couvert de table en argent à très beau décor de coquille
en relief
Origine : Oudenaerde 1767, M.O.: 'à la Flèche'
Collection : Dominique van. Haecke.
photo 8a 8b
Couvert de table argent et porcelaine de Meissen
Origine: Allemagne vers 1770.
Lame et fourcheron ornés de personnages féminins en relief,
manches ornés de scènes militaires.
Collection : 'Magazin Royal'
photo 9
Détail de l'ornementation florale d'une cuiller à café époque
Art Nouveau début 20è siècle. Probablement Espagne. Modèle Filet
ancien.
Provenance: 'Munozarce' Madrid.
photo 10
Détail de l'ornementation florale d'une cuiller à café époque
Art Nouveau début 20è siècle. Probablement Belge.
photo 11
Couvert à poisson 'Rocaille' et Fleurs de Roseau de L'orfèvrerie
Delheid Frères à Bruxelles vers 1890-1900. Modèle prè-Art
Nouveau orné d'une ravissante ciselure
photo 12
Ensemble de Couverts en métal argenté, modèle 'DUO' Créé par 'Tapio
Wirkkala' en 1957 pour la Collection Formes Nouvelles de la
Maison Christofle France
Collection :F.Van de Rose
Mes plus vifs remeriements aux amis qui ont collaboré afin d'illustrer
cet article.
Leur aide nous a été très précieuse.
- Martine D'Haeseleer -
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